🇫🇷 🎙️ La French #2 | Architectes + Avocat en droit immobilier ?
Pourquoi et comment les architectes doivent-ils se protéger ?
Jean-Pierre Martin est avocat en droit de l'immobilier, et membre de l'Académie d'Architecture. Il répond à 6 questions en vidéos pour expliquer le rôle d'un avocat dans le monde de l'architecture d'aujourd'hui, et l'importance de se protéger pour les jeunes architectes :
Une phrase pour décrire notre invité :
« Je suis devenu avocat il y a déjà de nombreuses années puisque j’ai plus de 45 ans d’exercices professionnels. Le cabinet aujourd’hui est constitué de cinq associés, et de treize collaborateurs avocats. Nous sommes plus spécialisés dans le droit de l’immobilier, qui est un secteur important du droit qui comprend, entre autres, le droit de la construction, le droit de l’urbanisme, le droit de la responsabilité et le droit de la propriété intellectuelle. »
ARCHITECTE + DROITS + PROTECTION
#01 Quel est le rôle d’un Avocat ?
#02 C’est quoi le droit de l’immobilier ?
#03 Pourquoi un Architecte a-t-il besoin d’un Avocat ?
#04 Comment un Architecte doit-il se protéger ?
#05 C’est quoi la propriété intellectuelle ?
#06 C’est comment pour les Architectes à l’étranger ?
#01 Quel est le Rôle d’un Avocat ?
Jusqu’à présent, dans l’esprit du commun des mortels, le mot « Avocat » est lié à l’activité judiciaire, c’est-à-dire le procès. L’architecte est assigné, il doit être défendu, ou l’architecte fait un procès, et il doit être assisté par un avocat qui va défendre ses intérêts. Cet aspect judiciaire est maintenant doublé de l’aspect juridique, c’est-à-dire, toute la vie juridique en dehors du procès. Ce sont les contrats, la vie du contrat, les droits intellectuels, écrire des lettres et des protocoles, écrire des contrats et des conventions. C’est tout cet aspect juridique qui prend de plus en plus de place dans les cabinets d’avocats, indépendamment du département judiciaire, qui reste toujours le département de prédilection de l’avocat. Il y a en France, un aspect judiciaire particulier qui est l’aspect contentieux administratif. Le domaine des marchés publics est un morceau de choix. Les plus grosses opérations sont faites au profit des collectivités territoriales, des mairies, des départements, des régions. Les opérations sont importantes, et posent de gros problèmes dès la signature des contrats, à la réception, et pendant le cours, de la garantie décennale de la responsabilité de l’architecte.
#02 C’est Quoi le Droit de l’Immobilier ?
Comme son nom l’indique, le droit de l’immobilier, c’est le droit de l’immeuble. Cela veut dire la faisabilité urbanistique de l’immeuble, sa construction, sa livraison, sa commercialisation, sa rénovation, sa réhabilitation, et sa revente : c’est toute la vie de l’immeuble. Le droit de la construction n’est qu’un morceau de la vie de cet immeuble. C’est la phase opérationnelle, où intervient l’architecte, à partir de ses études et sur le contrôle des travaux. Mais, cette phase de construction est précédée par toutes les études urbanistiques, le permis de construire, et la faisabilité de l’immeuble. Ensuite, après la construction, c’est toute la partie commercialisation : les ventes en état futur d’achèvement, les baux pour les locaux commerciaux, etc. Et enfin, c’est toute la vie de l’immeuble avec, le cas échéant, sa démolition, et tout ce qui touche au droit d’auteur et à la propriété intellectuelle, puisque l’architecte est un auteur, dont les droits sont protégés par le Code de la propriété intellectuelle.
#03 Pourquoi un Architecte a-t-il Besoin d’un Avocat ?
L’architecte est soumis à plusieurs courants qui sont souvent contradictoires : Il y a les entreprises sur le chantier d’un côté, et le maître d’ouvrage et ses intérêts financiers de l’autre. Il est à la croisée des chemins, et son rôle n’est pas toujours facile. Son rôle est technique et réglementaire, et en France, la règlementation est importante. Dans certains cas, cela peut amener des dépenses qui ne sont pas d’une utilité première, mais elles sont imposées par la règlementation. L’architecte est donc un chef d’orchestre, sans connaître pour autant tous les instruments qui le constituent. Il doit pouvoir lire toutes les partitions, si on veut que cet orchestre puisse jouer une symphonie, qui est celle que l’architecte aura mise au point. C’est pourquoi, notre architecte peut avoir des difficultés, dès le départ, avec le maître d’ouvrage, dans la mise en place du projet, dans ses dépenses lié au projet, dans les estimations du budget. Dans ce cas-là, l’architecte a souvent besoin d’un assistant et d’un appui juridique, pour avancer dans ce long fleuve qui n’est pas toujours tranquille, pour pouvoir arriver à un résultat et défendre ses intérêts.
#04 Comment un Architecte doit-il se protéger ?
Le contrat de l’architecte est une chose indispensable et nécessaire. Ce contrat est imposé par le Code de déontologie de l’architecte : c’est l’article 11 du décret du 20 mars 1980 qui prévoit ce contrat. Le contrat écrit protège l’architecte, car ce contrat doit définir l’objet du contrat. Il doit définir l’étendue de la mission, les honoraires perçus, et les conditions d’exercice de la mission avec les responsabilités et les difficultés s’il y en a. S’il n’y a pas de contrat, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de missions. Mais, il appartiendra à l’architecte de rechercher les preuves qui permettront d’étayer ses affirmations, et malheureusement, sans ces preuves jamais un tribunal ne lui donnera raison, d’où la nécessité de signer un contrat. Cela évite des discussions sans fin. Avec un contrat, le débat se trouve beaucoup plus cadré. Les erreurs principales qui sont commises ne sont pas souvent des erreurs techniques, ce sont des erreurs administratives. L’expert qui peut être amené à donner un avis sur une œuvre architecturale ne critiquera que rarement l’architecture. C’est exceptionnel. L’œuvre architecturale est toujours une œuvre pensée, réfléchie et réussie. Mais c’est l’administration, ces gangs administratifs, qui sont autour de l’œuvre architecturale, qui posent des problèmes à l’architecte. Le premier conseil que j’aurais à donner : c’est la rigueur. L’architecte doit écrire, écrire à bon escient, pour se défendre, et assurer cette rigueur avec précaution, et ne pas se contenter de coups de téléphone. Le téléphone est un poison, la lettre adressée à bon escient est une précaution, et une bouée de sauvetage indispensable et nécessaire à votre profession.
#05 C’est Quoi la Propriété Intellectuelle ?
Le projet architectural est en effet une œuvre unique : c’est un prototype. Il n’y en a pas deux identiques. Chaque projet est la création de son auteur, et comme tous les auteurs, l’architecte est protégé par le Code de la propriété intellectuelle. Il l’a déjà été par la Loi de 1957, il l’est également de façon formelle dans le Code de la propriété intellectuelle. L’architecte est donc un auteur. Il a des droits d’auteur, il bénéficie d’une propriété intellectuelle, sous la double condition qu’il soit effectivement l’auteur personnel de l’œuvre, et que celle-ci soit originale. Il peut y avoir des œuvres architecturales qui ne sont pas pour autant protégeables. Même si elles sont personnelles, elles n’auront pas l’originalité requise. Le premier architecte qui a fait des bow-windows a eu des droits d’auteur sans aucun doute, mais aujourd’hui, les bow-windows sont beaucoup plus courants. Bien sûr, c’est une œuvre architecturale. Mais, l’auteur d’un bow-window au 21ème siècle devra apporter la preuve de son ajout à l’architecture actuelle, de son apport personnel, s’il veut bénéficier des droits d’auteur. Il faut donc deux choses : rapporter la preuve d’une œuvre personnelle, cela n’est pas très compliqué, et surtout preuve que cette œuvre soit originale, pour justifier de l’ajout, de l’apport, et de la valeur ajoutée à l’architecture par son auteur.
#06 C’est Comment pour les Architectes à l’étranger ?
En France, ce qu’il y a de très lourd, c’est la règlementation. On s’aperçoit que dans les autres pays, la règlementation existe mais, peut-être, n’est-elle pas aussi pesante. Vos confrères anglo-saxons sont quelquefois impressionnés de voir tous les professionnels qui peuvent graviter dans une opération immobilière autour de l’architecte. Les SSI, les OPC, tous ces sigles qui confient à ces titulaires des missions très précises, font que la mission de l’architecte se trouve diluée. Autrefois, il y avait un maître d’œuvre général qui était l’architecte. Il assumait toutes les fonctions, il prenait toutes les responsabilités. Aujourd’hui, on a voulu que ces fonctions soient éclatées entre plusieurs entités. Mais dans le monde anglo-saxon, l’architecte reste toujours le patron général de l’affaire : c’est lui qui fait tous les plans d’exécution. En France, le système est un peu différent, mais vous êtes le maître de votre architecture, et vous devez le rester. L’architecte n’est pas simplement le créateur avec un crayon et une feuille de dessin. L’image était valable au siècle dernier, maintenant elle n’existe plus. L’architecte est un prestataire ; l’outil essentiel, c’est l’informatique. Il va devenir le BIM Manager qui va assurer la traçabilité de l’immeuble. Car, il y a le BIM dans la construction, mais il va y avoir le BIM dans la vente, dans l’habitabilité des ouvrages, la transformation de ces ouvrages, la rénovation, et la réhabilitation. Ce sera la traçabilité de toute la vie de l’immeuble, et c’est l’architecte qui est au cœur de cette grande révolution, et de ce grand virage, que la profession ne doit pas manquer.