đ«đ· đïž âSoyez bon, et vous serez solitaire !â mâa dit Frank Lloyd Wright.
Retrouvez les conseils d'un patron d'atelier, Ă©cho d'un siĂšcle d'architecture.
Michel Marot est architecte Grand Prix de Rome, et a Ă©tĂ© enseignant Ă l'Ăcole nationale supĂ©rieure des Beaux-Arts de Paris. Il rĂ©pond Ă 6 questions en vidĂ©os pour expliquer l'importance du parcours du jeune architecte, le systĂšme d'enseignement disparu des Ă©coles d'architecture, et la maniĂšre dont l'architecture devrait ĂȘtre pensĂ©e aujourd'hui.
Une phrase pour décrire notre invité :
« Jâai eu un mot de Frank Lloyd Wright. On Ă©tait allĂ©s avec des copains pour lâinterroger, et il nous a emmenĂ©s dans une grande salle. Devant lâentrĂ©e, il y avait un beau et merveilleux paravent chinois. Tout le monde est parti au fond de la salle, mais moi je lâai regardĂ©. Lorsque Frank Lloyd Wright eut terminĂ© son speech, il est repassĂ© devant moi. JâĂ©tais le seul qui nâavait pas Ă©coutĂ©, je nâĂ©tais pas allĂ© le voir avec les autres. Et Ă moi, seul, il mâa dit: « Be good, and you will be lonesome ». Cela veut dire: âSoyez bon, et vous serez solitaire ». »
ARCHITECTE + GRAND PRIX DE ROME
#01 Quel est le parcours dâun architecte Grand Prix de Rome ?
#02 Câest important les voyages pour les Architectes ?
#03 Câest quoi le systĂšme des ateliers en Architecture ?
#04 Câest comment « Apprendre lâArchitecture » ?
#05 Comment doit-on penser lâArchitecture ?
#06 Quels conseils pour les jeunes architectes ?
#01 Quel est le Parcours dâun Architecte Prix de Rome ?
JâĂ©tais nul en rĂ©daction, ce nâĂ©tait pas pour moi. Il fallait que je choisisse autres choses. Jâai donc cherchĂ© parmi toutes les Ă©coles possibles en Architecture. Et avec les Beaux-Arts : pas de dissertation au concours. Câest gagnĂ©Â ! Autant, je nâĂ©tais pas impliquĂ© au lycĂ©e. Autant Ă lâĂ©cole des Beaux-Arts, câĂ©tait fait pour moi. Jâadorai dessiner. Tout dâun coup, je me suis trouvĂ© gĂ©nial. Cela mâa donnĂ© de la force, jâĂ©tais moins timide. Jâai fait mes Ă©tudes, jâai passĂ© le diplĂŽme rapidement. Je ne trainais pas. Et puis, le Prix de Rome je mâen fichais. Moi, jâai prĂ©fĂ©rĂ© dâabord apprendre lâanglais. Je suis allĂ© en Angleterre 6 mois. Cela mâa permis de voyager, et de travailler chez un architecte. Une fois que jâai eu tout cela, je suis parti Ă Harvard. Jâai eu une chance inouĂŻe. LĂ -bas, câĂ©tait formidable parce quâil y avait Gropius qui enseignait. Il y avait 3 dĂ©partements : Architecture, Urbanisme et Paysagisme. Ming Pei venait de sortir dâHarvard en paysagisme. Je nâavais pas Gropius comme professeur, mais jâai Ă©tĂ© le voir avec des copains. Je lâai cĂŽtoyĂ©. Enfin, il y avait des architectes de tous les pays. CâĂ©tait intĂ©ressant et passionnant. Ensuite, je suis revenu, et jâai prĂ©sentĂ© le Prix de Rome. Je me suis distinguĂ© avec le feutre, parce que tout le monde Ă©tait avec des vieilles mĂ©thodes. Jâai continuĂ© lâesquisse. Les Ă©preuves ont durĂ© 3 mois, et le 4 juillet 54, je gagne le Prix de Rome. Je nâavais plus quâĂ prĂ©parer mes valises pour partir Ă la Villa MĂ©dicis pour 3 ans. Le Prix de Rome, câĂ©tait le summum de lâĂ©poque. On avait un premier Prix de Rome, un second, et un deuxiĂšme second. Mais, il fallait surtout avoir le premier. Le Grand Prix de Rome devenait architecte des bĂątiments civils et palais nationaux. Il Ă©tait en charge des lycĂ©es, des hĂŽpitaux. De tout ce qui pouvait ĂȘtre public en construction neuve, ou avec les anciens bĂątiments comme le chĂąteau de Versailles, le chĂąteau de Fontainebleau, et des tas de bĂątiments cĂ©lĂšbres.
#02 Câest Important les Voyages pour les Architectes ?
Câest Ă©vident que je ne vais pas leur dire de rester chez eux. Un jour, alors que jâĂ©tais en Allemagne Ă un sĂ©minaire, jâai rencontrĂ© un professeur belge. Je lui ai demandĂ©Â : « â Vous ĂȘtes dĂ©jĂ allĂ© en Italie ? â Non, jamais. Je ne me sens pas prĂȘt. Je nâai pas encore assez lu Ă propos de lâItalie pour aller lĂ -bas ». Jâai trouvĂ© cela complĂštement dingue. Il fallait quâil prĂ©pare tellement bien son voyage que finalement, il attendait de voir lĂ -bas ce quâil avait lu dans les livres. Il y a absolument aucune surprise. Il y a des dĂ©marches de gens qui sont trĂšs appliquĂ©s, câest assez « éducation nationale ». Il faut avoir lu, et puis aprĂšs on commence. Lorsque jâĂ©tais Ă la Villa MĂ©dicis, jâai passĂ© mon temps Ă voyager comme jâavais une voiture. Jâemmenais les autres pensionnaires avec moi : des graveurs, des peintres. Jâai fait visiter toute lâItalie pendant les 3 ans. En fait, je nâĂ©tais jamais Ă la Villa MĂ©dicis, je passais du temps partout. Jâavais Ă©galement Ă©tĂ© en Italie avant, entre 45 et 55. Jâavais Ă©tĂ© Ă bicyclette Ă Rome, Ă Florence avec des copains, et puis aprĂšs Ă Venise. On a fait 2/3 voyages comme cela en Italie pendant lâĂ©tĂ©. Et puis, jâai fait en 47, un voyage en SuĂšde, parce que je voulais voir un pays qui nâavait pas souffert de la guerre. Cela mâintĂ©ressait de voir le travail des suĂ©dois pendant la guerre. Ils ont fait des HLM, de lâarchitecture populaire, et des petits bĂątiments Ă Ă©tage. Cela mâintĂ©ressait beaucoup de voir tout cela.
#03 Câest Quoi le SystĂšme des Ateliers en Architecture ?
Au dĂ©part, des Ă©lĂšves sont venus me chercher quand mon patron dâatelier atteignait lâĂąge limite. Ils cherchaient un successeur. Les Ă©lĂšves ne savaient plus qui prendre, mais ils voulaient un Prix de Rome. JâĂ©tais trĂšs hĂ©sitant, mais je ne pouvais pas dire « Non ». Jâai donc commencĂ© en 65. Jâai voulu conserver une Ă©cole comme une suite des Beaux-Arts. Je savais trĂšs bien ce quâil fallait amĂ©liorer. Cela devait ĂȘtre un travail en atelier : ne pas ignorer le travail de lâesquisse, et puis faire travailler les Ă©lĂšves en groupe. Câest-Ă -dire avoir un projet, quâon a appelĂ© long, oĂč on Ă©tudiait lâurbanisme, le programme, le dĂ©but dâimplantation dans le paysage, et puis le projet construit. CâĂ©tait un projet qui couvrait toute lâannĂ©e en Ă©quipe de 3 : 1 plus jeune, 1 milieu et 1 chef. Jâai instituĂ© cela dans notre Ă©cole Ă lâĂ©poque. Et puis, jâestime que lâenseignement, câest la comparaison et le dĂ©bat avec dâautres projets. Il y avait donc lâexposition. Une fois le projet jugĂ©, il fallait lâexposer. Lâexposition durait plusieurs jours pour que les Ă©lĂšves aillent voir tous les projets, et quâils voient les bons, et les mauvais, quâils discutent entre eux pour amĂ©liorer leur qualitĂ©. Lâatelier Ă©tait lâenseignement. Le professeur Ă©tait important, mais lâenseignement inter-Ă©lĂšves, et surtout avec           une exposition aprĂšs projet, câĂ©tait essentiel. Par contre, les autres Ă©coles dâarchitecture ont plutĂŽt copiĂ© lâĂ©ducation nationale : On va de cours en cours, on change de professeurs chaque fois, et il nây a pas dâateliers. Ce nâest pas un atelier oĂč on entre pour 5 ans. Si on sây plait, on reste. Si on ne sây plait pas, on va dans un autre atelier. Les ateliers, câĂ©tait lâapprentissage comme chez lâartisan. Cela a Ă©tĂ© tellement dĂ©criĂ©. Et pourtant, câest comme un apprentissage dans un atelier de nâimporte quoi, de menuiserie par exemple. On apprend avec les autres ouvriers, avec les autres gens qui travaillent Ă cĂŽtĂ© de vous. On travaille avec dâautres sur le travail des autres. CâĂ©tait intĂ©ressant.
#04 Câest Comment « Apprendre lâArchitecture » ?
Vous savez mes Ă©lĂšves aimaient bien le systĂšme des ateliers. Ils faisaient des projets en sâamusant. Ils faisaient des trucs pour voir mes rĂ©actions, ou pour voir les rĂ©actions des copains. Ils Ă©taient Ă lâaise, ils nâavaient pas besoin de mĂ©dailles ou de mentions. Ils faisaient un projet pour voir la rĂ©action des autres, et avoir des Ă©changes. Câest ce cĂŽtĂ© libre quâil y avait Ă lâĂ©cole des Beaux-Arts. Evidemment, câest une image lâarchitecture. Vous produisez une image, et vous pouvez juger une image trĂšs rapidement comme vous pouvez juger un bĂątiment rapidement. Câest aprĂšs que vous regardez si câest solide, si câest logique, si cela fonctionne. Mais une dissertation, vous devez tout lire. Cela prend du temps. Un problĂšme mathĂ©matique, vous devez tout regarder. Cela prend du temps. Tandis que nous, il y a un choc dĂšs le dĂ©but qui doit plaire. Et ensuite, on regarde si câest cohĂ©rent. Comme la peinture, cela ne prend pas de temps Ă regarder un tableau. Il y a la premiĂšre impression qui doit plaire. Mais, il y a pas mal de gens qui ont cet esprit trop prĂ©cis. Ils ne tâĂ©coutent pas, parce quâils ont leurs lignes. Plus, câest abstrait, moins cela les intĂ©resse. Cela a Ă©tĂ© douloureux lâarrivĂ©e de lâordinateur Ă cause de ce cĂŽtĂ© prĂ©cis, alors que maintenant, cela devient un outil assez flexible.
#05 Comment doit-on Penser lâArchitecture ?
On vit dans un monde de nomades. On nâa pas le goĂ»t de rester dans un endroit, et de lâamĂ©liorer, de le peaufiner, ou mĂȘme de croire dans les personnes qui vont vous succĂ©der. On a peur du lendemain parce que lâon nâest pas sĂ»re dâavoir des successeurs qui vous suivent, qui sont contents de la continuitĂ©. Dans un monde qui devient de plus en plus nomade, jâai envie que les architectes tiennent le rĂŽle de façonner le paysage. Je suis sĂ»r quâhabiter ici, câest une chance inouĂŻe. Cela mâa confortĂ© dans ce sens dâassurer une continuitĂ©, et de ne pas changer les choses. Je suis pour lâamĂ©lioration, pas pour le changement. Les gens ont un goĂ»t pour les monuments historiques. On aime bien garder les vieux bĂątiments. On y trouve du charme, surtout maintenant oĂč tout Ă©volue si vite. Dâailleurs, Il y a des expressions de plus en plus. « Je suis en rupture ». Cela doit ĂȘtre une nouvelle architecture, et on nie complĂštement ce qui est sur le sol. Câest trĂšs difficile parce quâavec la communication, qui est beaucoup plus facile quâavant, tout le monde veut changer. Alors on copie ce qui est Ă cĂŽtĂ©, on copie ce qui est loin. On va faire une architecture chinoise, ou japonaise, etc. Moi, je suis pour lâancrage. Le rĂŽle de lâarchitecte, il est plus Ă la limite. Il est mieux de garder ce qui est, que de toujours ĂȘtre en changement continuel. Câest trĂšs rare les personnes qui aiment changer.
#06 Quels conseils pour les jeunes architectes ?
Je crois que lâarchitecte ne peut pas ĂȘtre tout seul. Câest un mĂ©tier trĂšs difficile. Il faut quâil choisisse une personne diffĂ©rente de lui. Cela ne doit pas ĂȘtre un ami qui a les mĂȘmes qualitĂ©s. Moi, jâai choisi de mâassocier avec un polytechnicien qui avait les mĂȘmes envies que moi. Le fait quâil soit polytechnicien, il sâoccupait plus des finances, et des contrats. Et il sâen occupait trĂšs bien, il Ă©tait pointilleux. Il faut donc choisir des personnes qui nâont pas la mĂȘme façon dâĂȘtre. De plus, si je faisais des bĂȘtises en architecture, il ne disait rien. Je pouvais me tromper. Il me faisait confiance, parce que jâĂ©tais peut ĂȘtre plus imaginatif. De son cĂŽtĂ©, il pouvait Ă©galement se tromper pour des discussions avec des entreprises, ou des contrats. Je lui faisais confiance. Un jour, nous avons reçu un programme pour un concours. On a pris chacun une copie, et 8 jours aprĂšs, on a comparĂ© nos idĂ©es. Nous nâĂ©tions pas dâaccord. On sâest donc retrouvĂ© 8 jours encore aprĂšs, et on avait changĂ© de camp. On Ă©tait capable de changer de camp, ce qui Ă©tait Ă©patant. Jâai vu des tas de copains qui se sont mis avec des amis dâĂ©cole qui avaient les mĂȘmes qualitĂ©s. CâĂ©tait des bons architectes, et pourtant, ils se sont sĂ©parĂ©s. Alors que si les personnes sont diffĂ©rentes, ils ne se sĂ©parent pas. Ils ont besoin lâun de lâautre.